Association de sauvegarde du patrimoine saulcéen

A.S.P.S.

Pierre Falcot (3/3) - Ses publications

PIERRE FALCOT – DESSINATEUR EN TISSU  (3 sur 3)
par Alain Becchia et Jacques Le Roux
 
Le texte ci-après est extrait d’un article paru en mai 2020 dans le bulletin de la Société de l’Histoire d’Elbeuf avec l’aimable autorisation de ses auteurs :
- Alain Becchia est Président et auteur de nombreux articles pour cette société (pour voir plus d’infos sur celle-ci cliquez-ici). Il est également co-auteur d’un ouvrage « Elbeuf - Louviers, Histoire croisée de deux cités drapières ».
- Jacques Le Roux est un passionné de l’histoire de notre village. Il est l’auteur d’articles sur le site de la commune et possède une remarquable collection de cartes postales anciennes sur celle-ci.
 
Cet article évoque la vie de Pierre Falcot (1804-1858), un Lyonnais Saulcéen d'adoption, qui s'est illustré comme dessinateur en tissu dans l'industrie textile.
 
Deux importantes publications
 
Il ne nous a pas été possible de découvrir quel avait été le cheminement professionnel de Pierre Falcot. Cependant, on peut être quasiment certain qu’il a, bien entendu, rencontré Théodore Chennevière et, sans doute, travaillé pour lui.
 
Mais il a surtout laissé des livres. Il faut citer tout d’abord une première version du Traité encyclopédique et méthodique de la fabrication des tissus par Falcot, Petard père et fils et Cie (1).
 
Une autre édition du Traité encyclopédique et méthodique de la fabrication des tissus, présenté comme un ouvrage collectif (« par une société de manufacturiers, de dessinateurs et de praticiens (…) sous la direction de Pierre Falcot »), est publiée à Elbeuf (2) en 1844, en deux tomes, « au Bureau de la Publication » (3), c’est-à-dire rue Saint-Jean. L’auteur évoque les « notes consignées depuis longtemps », « les observations tirées de notre propre expérience », mais aussi « les documents que lui ont fournis les établissements en activité des principales villes manufacturières », précisant que « c’est surtout dans celles de Lyon qu’il a recueilli les plus précieuses indications ».
 
Il mentionne également « la collaboration des plus habiles praticiens de notre époque » (sans doute des collègues ou fabricants d’Elbeuf essentiellement, car il ne fait allusion qu’une seule fois à Louviers). Le livre porte en sous-titre cette longue adresse : « ouvrage indispensable à MM. Les fabricants, directeurs de manufactures, dessinateurs, chefs d’ateliers, contremaîtres, en un mot à toutes les personnes qui veulent apprendre la fabrication des tissus ou en suivre les progrès », qui circonscrit le public visé. Il s’agit d’une publication « honorée par la souscription du Gouvernement et de celle d’un grand nombre de manufacturiers ».
 
Le premier tome s’ouvre sur une série de chapitres généraux consacrés à chacune des fibres textiles. Puis il évoque méticuleusement les différents types de métiers à tisser et leurs accessoires. Il décrit aussi les quatre armures fondamentales (taffetas, cannelé, sergé, satin) permettant d’obtenir tous les différents types d’étoffes (étoffes unies, à bandes, étoffes sans envers ou étoffes doubles). Plusieurs chapitres dissèquent le tissage à la mécanique dite armure, le lisage, la mise en carte, le perçage des cartons à la main, l’empoutage, le montage du métier, ainsi que les derniers perfectionnements de son époque (lisage mécanique, mise en carte réalisée sur toile métallique). Le tome 2 (à l’intérieur du même volume) comporte deux séries de planches (dessinées par lui-même), numérotées de 1 à 32 et de I à LXXII, soit plus d’une centaine au total.
 
Le traité des tissus de 1844 est aussi l’un des très rares ouvrages techniques traitant de l’atelier du canut au XIXe siècle (4).
 
Il semble que cette première édition ait remporté un réel succès. Il est difficile d’en connaître le tirage et le prix de vente exacts (5). Celle de 1852 évoque le « rapide écoulement qui s’est fait de la première édition » et les lettres de félicitations que les personnes les plus importantes lui ont adressées. Elle cite également des extraits d’un certain François Malepeyre, directeur du Technologiste (6), qui ne tarit pas d’éloges sur lui, vante sa « connaissance parfaite et raisonnée des opérations » et déclare qu’il s’agit « de l’ouvrage le plus complet qui ait encore été publié » sur le sujet.
 
Image portrait FalcotImage ouvrage Falcot
Portrait de Pierre Falcot en frontispice de l’édition de 1852 : visage intelligent, à la fois décidé et réfléchi, mise soignée ;
indiscutablement, il se présente plutôt comme un artiste ou un intellectuel.
 
La seconde édition (7), en 1852, a été « entièrement revue, corrigée et augmentée de plus du double ». Il s’agit donc quasiment d’un nouvel ouvrage. Cette publication s’adresse « à MM. Les fabricants, en un mot à toutes les personnes qui veulent apprendre la fabrication » et se présente encore comme un « ouvrage indispensable à toutes les personnes qui se vouent à la fabrication des tissus nouveautés ». Par-delà son caractère didactique et le fait qu’il englobe tous les types de tissus, c’est donc bien sur la mode des tissus nouveautés qu’il compte pour se diffuser.
 
Pierre Falcot s’en présente désormais comme l’unique auteur et se définit ainsi : « dessinateur, professeur de théorie-pratique (8) pour la fabrication de tous les genres de tissus, membre de la Société d’encouragement pour l’industrie nationale (9) ». Dans la grande tradition de l’Encyclopédie, l’ouvrage accorde une large place aux illustrations et comporte « 500 planches d’ustensiles, mécaniques, plans de machines, montages divers, dessins en esquisses ou en mises en carte etc. ainsi qu’un album contenant environ 2 000 dessins, brefs ou armures applicables à tous les genres de nouveautés ». La page de garde précise qu’il s’agit d’une « Publication honoré de la souscription du Gouvernement ».
 
Un Atlas des planches d’armures, brefs, dessins et mises en cartes, faisant suite au Traité de la fabrication des tissus, comportant 89 planches, plus une de titre est également publié (10) en 1852, pour accompagner le Traité.
 
Cette seconde édition eut également un grand succès. Ainsi, les auteurs d’une Géographie de la Seine-Inférieure (11), lorsqu’ils abordent Elbeuf, rapportent qu’un « important traité de la fabrication des tissus (…) plusieurs fois imprimé, a été publié sous la direction de M. Falcot, dessinateur à Elbeuf ».
 
Le Traité méthodique semble avoir été bien accueilli par le public concerné et assez largement diffusé. Il fut en effet très souvent repris et utilisé, en étant cité ou non selon les cas. Plusieurs ouvrages de la seconde moitié du XIXe siècle reproduisent notamment ses dessins (12).
 
On cherchera en vain dans l’édition de 1844, comme dans celle de 1852, des observations, avis ou souvenirs personnels, ou des témoignages sur Elbeuf (qui n’est citée que rarement et Louviers une seule fois). L’auteur s’en tient strictement aux aspects techniques. Il prend clairement parti pour les premiers métiers mécaniques, pourtant considérés avec méfiance par les ouvriers tisserands. Il ne faut pas craindre la mécanisation, affirme-t-il en se basant sur l’exemple de l’Angleterre : « plus les machines se multiplient et se perfectionnent dans un pays, plus aussi s’accroît la population ouvrière.»
 
Sa mort précoce empêcha certainement Pierre Falcot d’achever et de publier un troisième ouvrage, qui était en préparation. Henri Saint-Denis confie en effet ceci : « Il a laissé un autre ouvrage manuscrit sur le tissage, qui est actuellement dans la main d’un de ses fils (13)». Il serait hautement souhaitable, bien sûr, que ce document historique – s’il existe encore chez un particulier – soit déposé au Centre d’Archives Patrimoniales ou mis à la disposition du public d’une façon ou d’une autre. Ce serait la meilleure façon de rendre hommage à la mémoire de ce grand travailleur.
 
Peu après le décès de Pierre Falcot, un autre grand monteur elbeuvien, Hippolyte Aimable Soret, rédigea à son tour – dans les années 1860 – une série de publications techniques sur la fabrication des draps et l’analyse des tissus. Ces exemples individuels montrent à quel point la ville fut, au XIXe siècle, un centre d’excellence quant à l’industrie textile, et sut attirer des hommes de grande valeur, auxquels elle permit d’exprimer leurs talents.
 
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(1) Publié à  Rouen, impr. de A. Péron, en 1843 (La BnF ne possède que le tome 2, 112 p. (FRBNF31090357).
(2) Ouvrage in 4°, 266 p., référencé de manière erronée sur le site de la Bibliothèque Nationale de France, sous le nom d’auteur de « M. Falcut ». Le volume de planches parut en 1845 (203 p. plus une grosse annexe constituée d’un Dictionnaire technologique des noms et des termes utilisés en fabrique de 35 p.). On retrouve cette publication sur le site de l’Universitat Politècnica de Catalunya.
(3) Rue Saint-Jean, n°77 ; il s’agit de l’imprimerie Levasseur et Barbé.
(4) Philippe Demoule, « L’atelier du canut lyonnais au XIXe siècle »,Pdf,2002 
     Voir également le site de l’ancien Conservatoire des Vieux Métiers du Textile (http://fetmode.fr/cvmt/index.htm).
(5) Selon la Bibliographie de la France ou journal général de l’imprimerie et de la librairie [qui tirait certainement ses sources du Dépôt légal], Paris, Pillet-Aîné, imprimeur-libraire, 1844, « cet ouvrage aura 70 livraisons qui formeront 2 volumes » ; prix de chaque livraison : 1 F 50 (soit le salaire journalier d’un ouvrier non qualifié).
(6) Le Technologiste ou Archives des progrès de l'industrie française et étrangère... ouvrage utile aux manufacturiers, aux fabricants..., publication annuelle, rédigée « par une société de savants, de praticiens, d'industriels » et publié sous la direction de F. Malepeyre, Paris, Librairie encyclopédique de Roret, n° d’octobre 1845.
(7) Ouvrage in 4°, 2 vol. XII-703 p. et 6-225 p. de planches (Bibliothèque Nationale de France, FRBNF 30416596 et 30416597). Consultables sur le site Gallica. Une première impression porte la mention Elbeuf, l’auteur, et une seconde Paris, Librairie scientifique, industrielle et agricole E. Lacroix. Cet ouvrage est conservé également au Mode Museum d’Antwerpen (Anvers) et à la Bibliothèque de l’Université de Ghent (Gand). 
(8) Il semble qu’il ait fondé et dirigé, à Paris, un établissement pour l’enseignement théorique et pratique de la fabrication des tissus (Le technologiste ou Archives des progrès de l’industrie française et étrangère, n° d’octobre 1845).
(9) Créée en 1801 et proche des milieux gouvernementaux, cette institution dont le siège était à Paris avait pour but de favoriser le développement industriel, de diffuser les informations techniques et d’encourager les innovations technologiques françaises.
(10) À Elbeuf, chez l’auteur et à Mulhouse [autre grande ville manufacturière, mais spécialisée dans les cotonnades], chez J.-P. Risler ; ouvrage in 4°, 2 vol. XII-703 p. et 6-225 p. de planches (Bibliothèque Nationale de France, FRBNF 30416596 et 30416597). Consultables sur le site Gallica : https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k5544193j/f5.image.r=Falcot.
(11) Bunel (Joseph) et Tougard (Albert), Géographie de la Seine-Inférieure, Rouen, Impr. E. Cagniard, 1876, p. 324.
(12) Par exemple Joulin (Gabriel), L’industrie et le commerce des tissus en France et dans les différents pays, Paris, Librairie J.-B. Baillière et fils, 1895, 348 p. (l’auteur reproduit de nombreuses figures de P. Falcot, en le citant d’ailleurs à chaque fois).
(13) Saint-Denis (Henri), Duchemin (Pierre Polovic), Notices historiques…, La Saussaye, op. cit.,p. 67.